Tuesday 29 August 2017

Tableau de Murièle Modély



Ça avait commencé bizarrement. D’abord elle avait saigné. Le jour même où Bob était parti. Pure coïncidence bien sûr. Même si elle trouvait assez drôle de saigner des deux côtés. Enfin drôle, elle n’avait ri qu’intérieurement, ses lèvres enflées était trop douloureuses. De petits filets de sang formaient des lignes courbes sur son menton et son cou. Un flux irrégulier dessinait des routes en lacets sur ses cuisses et ses jambes. Elle était allongée par terre devant le miroir, et regardait la cartographie misérable s’élaborer sur sa peau en rouge et brun.

Bob était parti. Avec les meubles. Et l’argent. Il n’avait laissé que l’armoire et son miroir tout piqué, que sa tête heurtait plus d’une fois à son tour, quand la colère montait. Elle voyait dans les lignes brisées, le reflet de son corps mâché. C’était étrange, on aurait dit une carte du monde divisée en continents irréconciliables. Il y avait ces espaces vides, ces frontières, ces montagnes jaunes ou bleues - tout dépendait du début de leur formation, ces minces rus vermillon et cette rivière pleine de caillots grenat qui tentaient de recréer l’océan sous ses fesses.

Elle ne se reconnaissait pas. Et aurait ri encore si sa mâchoire ne grinçait pas autant quand elle ouvrait la bouche. Elle s’était mise nue pour observer le phénomène. De toute façon, ses vêtements étaient en lambeaux. Ils gisaient en tas comme témoignage d’une énième catastrophe climatique, dont elle n’aurait pas anticipé les conséquences. Elle ne voulait pas y penser, alors elle détaillait dans le miroir cet amas de chair marbré dont les couleurs se mêlaient en un nouveau paysage.

Elle avait toujours rêvé de peindre, voilà ce qu’elle pensait. Oui, peindre. Elle, dont il disait en ricanant qu’elle ne savait rien faire de ses dix doigts. Ça avait commencé comme ça. Elle avait  plongé ses doigts entre ses jambes pour accélérer le flux, et avait posé la matière molle sur les espaces blancs de sa peau. Pour qui se prenait-elle ? Peindre, bordel, quelle merde ! D’abord par petites touches, ses doigts hésitants sur l’endroit exact où déposer ces bouts de pourpre. Puis par grands aplats, sa main comme un pinceau esquissant cinq longues traînées grasses sur son ventre ou ses seins.

Quand les pigments vinrent à manquer, elle attrapa le couteau. Celui là même qu’il avait posé le matin sur sa carotide, tout en gueulant quelque chose d’incompréhensible à ses oreilles. De la pointe elle appuyait ici ou là, faisant éclater la chair comme de petits abcès. Cela ne faisait pas mal. Moins en tout cas qu’une gifle ou qu’un coup de pied. Tu ne vaux rien ma pauvre fille ! Le trait était fin et précis. Elle pouvait à sa convenance étirer la ligne ou l’épaissir. Ce n’est que plus tard qu’elle ressentit le besoin de jeter de grandes quantités de rouge sur la toile.

Et le sang s’était mis à couler plus vite. Ses mains étaient devenues moins adroites, plus gauches. Elle regardait avec un mélange d’effroi et de jouissance la modification du dessin dans le miroir. Cela ne faisait pas mal. Cette carte plus complexe, moins lisible, et rouge, si rouge, c’était elle. Elle éprouvait même une joie indicible à l’idée qu’à mesure qu’elle se vidait, la nature morte prenait vie. Et elle espéra que peut-être, après, son tableau finirait examiné à la loupe comme une scène de crime.

Sunday 20 August 2017

The Indolent Magician by Matt Dennison

The Magician by Ruth Hunter, 2012


I perform tricks for the children
at the roadside attraction, mannequins,
bedpans and teeth being the main of my draw.
It is unpleasant work but must be done,
for the mind—slick coil!—does not travel easily
to the suffering of others. Offering prayers
like scissors I ask what they want. What sounds
come out I cannot recall. They make noises.
I have been to the slaughterhouse. The beasts
know they are to die.— But this! this eye of my
inner wrist upon nostrils, coin-slots and spines!
It tires one completely, ribbed in a teat-vine
of request—“O me!”—though faith in a slack-
tongued siesta resides. And what little sinkling
is this? What sketch of an Agonist have we?
We could use a boy with a cross-scar on his cheek,
I resume to mutter, placing buckets among the line
—though he, fattened on bastards and pearls
of our own making, appears unhappiable.
Déjà rêvé!”  he weeps at my approach,
as if the bolt and blowpipe of Christ Himself
were shattered in this crime. “O petite chose morte—”
I mince between rough horns and whistles,
ils ont même vos doigts!” And though
the actual devil sparks—must emit sparks,
poor bastard—I approach slowly, to keep from
passing through. Begin the star opera? Bien.
Thick brushed? Of course. Time? I am time:
Seal up the pearl-maker! Slide the salty gate!
As for the poor with their color and spice—
one ladle of air across the tongue, and slice.


first published in Petrichor Machine 2015

*****

After a rather extended and varied second childhood in New Orleans, Matt Dennison’s work has appeared in Rattle, Bayou Magazine, Redivider, Natural Bridge, The Spoon River Poetry Review and Cider Press Review, among others. He has also made short films with Michael Dickes, Swoon, and Marie Craven.